Chronique de livre · recueil de nouvelles

Chronique de livre: Aucun souvenir assez solide

Aucun souvenir assez solide, d’Alain Damasio

Description: (de La Volte)

Alain Damasio nous invite à la rencontre de grands « vivants », c’est-à-dire de grands claustrophobes, amoureux de l’air et de l’Ouvert. Champions de toutes les aérations, celles de l’espace, du son, des mots, du collectif, et de ce fait totalement libres, entrés en un jeu d’échos fou avec les mouvements du monde, ils tracent et suivent leurs lignes de fuite, tel le surfeur qui n’existe et ne consiste que dans la furtivité.

Le florilège ici retenu comporte 10 nouvelles écrites entre 2000 et 2011, dont certaines inédites et d’autres déjà publiées, souvent à titre confidentiel, dans des magazines, revues ou anthologies. L’ensemble, original, cohérent et d’une qualité remarquable, comblera les passionnés de l’auteur et amènera de nouveaux lecteurs à découvrir son univers. Les thèmes de prédilections d’Alain Damasio y sont omniprésents : le mouvement et le lien, la vitalité, l’autodépassement, les combats politique et philosophique. Certains des textes présentés forment sans doute une ouverture à son prochain roman.

J’ai lu ce livre pour mon cours d’écriture politique axé sur “l’homme et le numérique”, mais je connaissais déjà cet auteur et j’avais beaucoup aimé sa Horde du Contrevent. Je comptais donc déjà lire ses autres œuvres et était super contente de voir que ce recueil était dans les lectures au choix de cette matière. Il ne fallait lire que trois ou quatre nouvelles mais je n’ai pas pu m’arrêter!
L’édition que j’ai lu est celle de la bibliothèque de ma ville dans l’édition de La Volte.

Toutes les nouvelles n’ont pas la même longueur et ne sont pas sur le même thème, j’ai même l’impression qu’on pourrait séparer ce recueil en deux parties. On part d’une science-fiction assez cyberpunk et on en arrive presque à du réalisme magique. Du moins c’est l’impression que j’ai eu. J’ai remarqué des prénoms se retrouvent d’histoires en histoires, ainsi que des sujets abordés dans ses autres romans.
J’ai ressenti ce recueil comme une plongée dans les thèmes qui tiennent à cœur à Alain Damasio. En lisant ce recueil, j’ai un peu mieux compris son univers et ce qu’il cherche à créer et partager.


Les hauts parleurs
Cette première nouvelle est parfaite pour se remettre dans le bain du langage si particulier de Damasio. J’ai lu son roman La Horde du Contrevent cet été donc c’est encore assez frais dans ma mémoire, mais pour ceux qui ne sont pas familiers avec son style il faut peut-être un petit temps d’adaptation. (Après tout La Horde est resté 5 ans sur mes étagères avant que je n’arrive à m’y plonger sérieusement.) 
On retrouve ici l’amour des mots et la façon qu’on les humains de se les approprier, l’évolution qu’un langage peut subir.
Cette nouvelle se passe dans la ville de Phoenix, en Arizona et le personnage principal, Spassky, m’a fait penser à Caracole de La Horde du Contrevent. En effet il aime jouer avec les mots, les manipuler, au point d’en créer un nouveau langage. Ce qui devient nécessaire car dans ce monde, les mots se vendent et il ne reste qu’un petit millier de mots libres de droits. La critique de la politique et du capitalisme saute aux yeux, avec les dérives qui peuvent en découler.
J’ai tellement aimé Les Hauts Parleurs et surtout sa fin que j’ai même lu à voix haute certains passages pour encore mieux apprécier le travail d’écriture fourni.


Annah à travers la Harpe
Cette nouvelle avait un thème assez dur, le personnage principal part rencontrer un homme qui pourrait parler aux morts, car sa petite fille est décédée. C’était très émouvant, j’ai vraiment ressenti la douleur du protagoniste lorsqu’il se remémore Annah et j’imagine que ce serait une lecture très dure pour quelqu’un ayant vécu ceci.
Cette nouvelle traite aussi de la technologie car malgré tout ce qui l’entourait pour la protéger et tout les gadgets qu’elle portait, Annah est quand même décédée des suites d’un accident qui n’aurait jamais dû arriver.
J’ai aussi noté une petite référence à La Horde du Contrevent car le deuxième prénom d’Annah est Callirhoé!


Le bruit des bagues 
Entre attaques terroriste et changement d’identité, multinationales qui proposent des réductions à vie à quiconque utilise des noms de marque comme prénoms, et histoire d’amour, cette nouvelle comporte pas mal de thèmes et était pourtant assez courte.
Il manquait un petit quelque chose pour que j’ai un coup de cœur mais l’idée des prénoms était originale, les personnages principaux s’appellent d’ailleurs Sony et Loréal.

“Plus on nous connecte, moins on partage”


C@PTCH@
Cette nouvelle était longue et prend le temps de s’attarder sur plusieurs points de vues différents. On commence avec un petit garçon de 4 ans et demi dont le grand frère a été dématérialisé.
Dans ce monde, adultes et enfants sont incapables de se rejoindre, séparés par une ville remplie de pièges visant à les dématérialiser et les incorporer dans l’internet. Les enfants mangent des produits informatique (clavier, souris, câbles…) et la traversée de la ville en vient à être commentée à la manière d’un sport.
Chaque question que j’ai pu me poser sur la façon dont marchait ce monde a eu sa réponse à un moment ou un autre et même si je me suis perdue à une ou deux reprises entre les points de vues, c’était une nouvelle très prenante.


So phare away 
On retrouve ici la nouvelle qui a inspiré la couverture de l’édition folioSF!
Cette histoire se concentre sur Sofia et Farrago, chacun ayant son phare et s’occupant de ces transmissions et traductions, amoureux et ne se retrouvant qu’une semaine tout les six mois. Quant des constructions émergent et les empêchent de communiquer, les autres habitants des phares vont les aider, ou non. C’est à travers leur histoire que l’on en apprend plus sur leur univers. La Terre est devenue un monde submergé où seul le phares et des constructions de plusieurs centaines de mètres servent d’habitations. On apprend qu’a l’origine de cette ville il n’y avais que douze phares mais il en arrive de plus en plus, et de plus en plus hauts. Ce qui amène un système de castes, en haut les plus riche et en bas les moins riches, forcément.
Cette histoire pourrait s’apparenter à une dystopie, j’ai assez aimé son cadre original. Même si, pour quelqu’un qui a peur des profondeurs marines et des hauteurs c’était assez anxiogène, haha.

“Que dans un monde où tout le monde croit devoir s’exprimer, il n’y a plus d’illumination possible.”


Les Hybres 
Ici il est question d’art et de technologie, d’évolution et d’hybridation. Un homme part dans une usine en chasse de sa prochaine oeuvre d’art, armé d’une torche et d’un chalumeau de décharge à photons, mais tout ne se passe pas comme prévu.
J’aime beaucoup les images que cette nouvelle m’a évoqué, un mélange subtil entre steampunk et horreur.


El Levir et le livre
On suit ici un scribe, ou plutôt Le scribe qui va devoir écrire Le Livre. Un livre qui contient tout et dont les conditions d’écritures sont si difficiles qu’il n’a encore jamais été écrit ni lu. Pas ma préférée (pourtant c’est carrément sur l’écriture d’un livre!) mais une bonne histoire pour laquelle j’avais vraiment envie de savoir la fin.


Sam va mieux
Un monde post apocalyptique où un homme, accompagné de ce qui semble au premier abord être son fils adoptif dyslexique, survit depuis 6 ans dans ce monde vide et ravagé. Il est obsédé par l’idée que le vent cherche à lui parler, sombrant dans une douce folie mais ne perdant pas espoir et cherchant à se sauver de lui-même. J’ai vraiment beaucoup aimé cette histoire, même si le cadre n’a rien de révolutionnaire, on en apprend d’ailleurs peu sur les circonstances dans lesquelles tout le monde est mort. C’est cet homme, son voyage et ses espoirs, qui la rend intéressante.


Une stupéfiante salve d’escarbilles de houille écarlate
Une autre nouvelle plutôt longue d’une 40aine de pages qui m’a un peu perdue pendant une grande partie mais petit à petit j’ai réussi à comprendre ce qui se passait et à me laisser prendre par l’histoire. Les personnages principaux, Ile et Aile, se séparent à cause d’une espèce de maladie étrange dont est affligé Ile, un aéromaître. Toutes les choses qu’il touche deviennent inutilisable, tombe en miettes où se retrouvent avec leur forme originelle. Le plus gros de l’histoire est occupé par une course opposant Ile à d’autres entités et créatures volantes. Je me suis prise à espérer voir un jour une animation de ces scènes qui étaient vraiment très visuelles et donneraient de très belles images.


Aucun souvenir assez solide
C’était une histoire toute courte de deux pages mais on sent que l’auteur a vraiment été touché par cette expérience.


Si j’avais vraiment une critique à faire, ce serait que tout ça manque un peu de diversité du point de vue des personnages. J’ai lu il n’y a pas si longtemps un recueil de nouvelles cyberpunk qui était un modèle de diversité et, bien que je reconnaisse qu’Aucun souvenir assez solide date de quelques années, cela m’a quand même un peu embêté ici. Bien sûr que ces histoires sont intéressantes et superbement bien écrites, mais l’histoire d’un homme amoureux, un homme et son enfant, un homme qui sombre dans la folie, un homme etc etc, (même si parfois entrecoupé du point de vue d’une femme, qui a toujours un rôle par rapport à lui) m’a fatigué au bout d’un moment.

Toutefois j’ai passé un bon moment avec ce recueil. Pas de déjà-vu ou d’idées pré-mâchées dans Aucun souvenir assez solide, tout semble sorti tout droit d’une imagination débordante qui n’emprunte à aucun moment le chemin de la facilité.

Je le recommanderais à quiconque aimerait se familiariser avec le style d’Alain Damasio avant de se plonger dans ces romans. Cela m’a d’ailleurs motivé à lire son autre roman, La Zone du Dehors, dès que possible.

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